Un peu d'histoire locale, avec les registres de catholicité

Sur un registre de catholicité 1802—1806

 

Le texte qui suit a été écrit par Marc Suel, en octobre 1999.

 

Démarche

Le registre de catholicité, tenu à l’église Saint-Gilles de Bourg-la-Reine de 1802 à 1806, présentant quelques difficultés de lecture, le Père Aybram, lorsqu’il était curé de Saint-Gilles, a souhaité qu’il fût transcrit.

Nous avons effectué ce travail, qui a été revu et vérifié sur les points difficiles par deux anciennes élèves de l’École des Chartes, mesdames Élizabeth Giraudel et Ariane Gilotte, conservatrices d’archives.

La lecture ne présente pas de difficultés en dehors des noms de personnes ou de lieux, mais elle conduit à faire quelques observations.

 

Contexte national : une nouvelle période après la Révolution

Le curé et son vicaire en fonction à Saint-Gilles en 1792 ayant dû quitter les lieux, le culte a été officiellement interrompu pendant dix ans et l’on ne sait si ou comment il a pu être maintenu sous le manteau. Des allusions sont faites à des prêtres réfugiés à Antony ou à l’Haÿ qui auraient donné les sacrements à Bourg-la-Reine.

En 1802, nous sommes depuis le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) sous le Consulat. Le premier Consul vient tout à la fois de signer un traité de paix avec le pape Pie VII puis un concordat longuement négocié à Paris entre le conseiller d’Etat Crétet, Portalis, futur ministre des cultes, et le cardinal Consalvi venu spécialement en France. Il est signé le 15 juillet 1801 mais ne sera promulgué que le 15 avril 1802 avec beaucoup de peine. Les Assemblées étaient très hostiles. Néanmoins, il est adopté.

Le culte catholique n’est plus toléré, il est rétabli. Son organisation est entièrement nouvelle, ce dont nous ne nous rendons nul compte aujourd’hui. Le cadre n’est plus celui de l’Ancien Régime. Le clergé séculier est seul restauré. Le gouvernement nomme et le pape institue 10 archevêques et 50 évêques dans les limites actuelles de la France. Nous sommes loin des 117 évêques de l’Ancien Régime. Leurs successeurs ont la charge de l’organisation du culte, chacun dans un et souvent deux départements.

Une fois nommés et institués — ce qui soulèvera de très grosses difficultés — les évêques vont avoir à s’organiser. Il leur faudra d’abord, en accord avec le Saint-Siège et le Gouvernement, faire procéder à la délimitation de chaque diocèse par suppression des anciens évêchés et insertion des nouvelles paroisses dans leur ressort, puis reconnaître les prêtres séculiers subsistants du clergé d’avant 1789, s’enquérir de leur conduite sous la Révolution, de leur volonté de reprendre un service ministériel, ce que tous ne souhaitent pas, et enfin les nommer peu à peu dans les paroisses nouvellement créées.

Ce travail va être fait de façon nécessairement rapide et approximative. Les évêques n’ont pas de collaborateurs prêts à les assister et, bien entendu, à les informer. Ce sont eux qui devront les choisir, les former, leur donner des moyens de travail. Tous les choix faits ne seront pas nécessairement appropriés.

 

Contexte local : trois prêtres à Bourg-la-Reine de 1802 à 1806

A Bourg-la-Reine, trois prêtres vont se succéder en moins de quatre ans. Ce sont les abbés : 

  • Blanchard, nommé le 15 mai 1802 et qui signe à compter du 29 août 1802 jusqu’au 2 novembre suivant ; 
  • Rudemare, qui assure d’abord l’intérim de novembre 1802 à février 1803, puis exerce du 7 février 1803 jusqu’au 3 juillet 1803 en tant que titulaire ; 
  • Ducasse, nommé par intérim le 27 juillet 1803, titulaire le 11 mai 1804, et qui cesse ses fonctions en mai 1806 (après le 16 mai).

Ils se sont succédé très rapidement.

 

Curés et prêtres desservants

Notons que conformément au Concordat qui va régir le statut de l’Église jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de séparation du 9 décembre 1905 — et qui la régit encore pour les départements de l’Alsace-Moselle, voire de la Guyane, où la loi ne s’appliquait pas ou n’a pas été étendue —, ces trois prêtres ne sont pas des curés, mais des desservants.

Ont seuls la qualité de curé les prêtres titulaires de paroisses de canton. Ils doivent avoir la confiance du gouvernement et sont donc nommés par l’évêque après accord du préfet. Ils ne peuvent être mutés pour une raison quelconque qu’en la même forme. En général, le préfet répondra à la demande de l’évêque mais il n’y est pas obligé. Il souhaitera des justifications précises. Si la demande n’est pas suffisamment motivée, il ne manquera pas d’écrire que le prétexte donné ne lui paraît pas justifié ou qu’« il doit en référer à Son Excellence, Monsieur le Ministre des Cultes », ce qui peut prendre du temps. Par ailleurs, le curé, prêtre nommé en accord avec le gouvernement et protégé par lui, est également payé. En exécution du Concordat, il reçoit un traitement qui n’est pas considérable mais qui, en 1802, n’est pas méprisable, soit 1 000 F ou 1 500 F selon sa classe.

Les prêtres chargés des autres paroisses sont des « desservants ». Ils ont les mêmes pouvoirs canoniques que le curé et tous les paroissiens les appellent de ce nom, mais à la différence des curés, ils n’ont nulle garantie de stabilité — l’évêque peut les nommer, les déplacer, les révoquer absolument comme il l’entend. D’autre part, beaucoup n’ont pas de traitement (500 F par an payés par l’État) mais une allocation à la charge de la commune — 350 F par an en 1802 —, ce qui les mettra dans une très grande difficulté pécuniaire, les communes pauvres ne payant pas ou mal.

De cette situation, nous avons un écho dans le registre de Bourg-la-Reine, tout à la fois obscur et bien net. Les abbés Blanchard et Rudemare ne contestent rien. Ils sont des prêtres desservants et signent en cette qualité : l’abbé Ducasse l’admet mal et beaucoup de ses actes sont signés « curé, desservant » ou « curé ». Il veut réaffirmer son autorité.

 

Quelques commentaires sur la rédaction des actes

Les registres paroissiaux vont être tenus avec régularité mais d’une manière qui n’est pas pleinement satisfaisante. En effet, les ordonnances royales de Villers-Cotterêts de 1559, de Paris en 1587, de Saint-Germain en 1667, et la déclaration royale de 1736, qui prévoyaient la tenue des registres paroissiaux et fixaient avec précision leur rédaction et leur contrôle, ne concernent plus la tenue de registres d’église, l’état civil ayant été transféré aux mairies.

Les nouveaux registres, dits de catholicité, n’intéressent pas le législateur et les évêques ont d’autres soucis sur les bras que de se pencher sur leur rédaction. Les nouveaux registres ne sont pas aussi précis que les anciens, l’identité des personnes en cas de naissance ou de décès étant assurée par les registres de l’état civil. Les actes doivent du moins être assez clairs et assez précis pour permettre de connaître exactement l’identité des personnes concernées et de se reporter éventuellement au registre d’état civil les concernant.

Or la rédaction d’un certain nombre d’actes est très rapide. L’abbé Ducasse notamment donne l’impression de rédiger ses actes d’avance et de ne pas se relire. A la différence de ses prédécesseurs, il ne mentionne pas toujours comme eux la date du calendrier seul légal — celle du calendrier républicain — et à la suite, par tolérance, celle du calendrier grégorien (qui n’est rétabli qu’à la fin de 1805, à compter du 1er janvier 1806). Il met l’une des deux seulement, plus souvent la date grégorienne. Parfois, cela est arrivé, il n’en met aucune. Comme il ne se relit pas, il ne s’informe pas de l’orthographe, et des intéressés en signant écrivent leur nom plus lisiblement et tout autrement que leur curé. Il en va ainsi pour les parents des baptisés, les parrains et marraines. Parfois, le nom des ceux-ci est en blanc. Le curé ne les avait pas lus avant la cérémonie et avait oublié de s’en enquérir au moment du baptême et de compléter le registre. Il y a même pire : dans un acte de baptême où le nom du père de l’enfant est indiqué avec précision, celui de la mère — légitimement mariée — est tout simplement omis !

A ces oublis auxquels il aurait été aisé de remédier, s’ajoutent des particularités de rédaction. Il est toujours précisé dans les actes de baptême que celui-ci a lieu « selon les cérémonies accoutumées », formule qui remplit un chrétien moyen de perplexité. Les rites liturgiques suivis par l’Église pour l’administration d’un sacrement sont tout autre chose qu’une cérémonie. Elles doivent de plus être toujours suivies. Il en va de même pour les obsèques, où cette mention figure parfois mais ne se rencontre pas dans tous les cas.

La loi civile est strictement respectée. Le code civil, formé de tous ses titres, est promulgué en 30 ventôse an XII, soit le 21 mars 1804. Conformément à la règle posée, la cérémonie religieuse suit toujours la cérémonie civile attestée par le certificat du maire formellement mentionné. Si les mentions relatives à l’âge, à la profession, à la demeure de la personne concernée et à celles des témoins n’ont plus autant d’importance qu’au moment où l’acte paroissial était aussi un acte d’état civil, il faut qu’elles soient assez précises pour permettre l’identification religieuse. Or, comme on l’a noté plus haut, elles ne sont pas toujours précisées.

 

Ce que ces registres révèlent de la vie à Bourg-la-Reine...

L’examen sommaire des actes ne fait pas apparaître de données particulières. Bourg-la-Reine est une commune active mais petite dont la population est mal connue. Les archives municipales consultées par l’abbé Lieutier donnent des chiffres très dissemblables à quelques années d’intervalle alors qu’il ne s’est rien passé de particulier sur place : 900 habitants en 1789, 510 en l’an VI (donc en 1798-99) et 694 l’année suivante. Cette population relevée varie peu naturellement pendant ces quelques années. Il y a souvent — du moins plusieurs fois — plus de décès que de naissances. Un recensement fait en 1800 et retrouvé dans les archives de la mairie où il semble avoir été oublié nous a été aimablement communiqué par M. Chapelain. Il est nominatif et détaillé, il donne le chiffre d’à-peu-près 680 habitants au 1er messidor an VIII (20 juin 1800).

Dans cette population, l’instruction est répandue. Une nette majorité des actes est signée, et généralement d’une écriture correcte. L’ensemble de la population est catholique.

Il semble tout de même qu’il y ait eu des difficultés au moment du rétablissement du culte. Le nombre de baptêmes, de mariages et de sépultures est une fraction de celui des naissances, mariages et décès mentionnés à l’état civil. Trois explications sont possibles : 

  • une certaine lenteur dans la reprise d’une pratique religieuse élémentaire après dix ans complets d’interruption ; 
  • un dissentiment possible entre les premiers « curés » nommés à Bourg-la-Reine de 1802 à 1806 et leurs paroissiens — ce qui expliquerait le départ très rapide des deux premiers et une baisse du nombre des actes du troisième à la fin de sa présence à Saint-Gilles ; 
  • des difficultés propres non à Bourg-la-Reine mais à toutes les communes de passage : à la population normale et stable, qui vit sur place ou s’installe pour plusieurs années, souvent pour longtemps, s’ajoute une fraction non négligeable de « passants » qui restent quelques mois, parfois un an et deux, exerçant des petits métiers et s’en allant souvent sans laisser d’adresse. Elle vit en marge de la mairie, qui a beaucoup de mal à tenir son recensement à jour, et sans doute de l’église.

Bien que la deuxième hypothèse soit contestée, elle devrait, à notre sens, donner lieu à des recherches complémentaires sur les registres d’Antony et de l’Haÿ par exemple.

 

Conclusion

Grâce à ces registres, nous avons ainsi une idée rapide mais moins incomplète de la vie religieuse à Bourg-la-Reine de 1802 à 1806.